Édito
Pourquoi un numéro d’Évolutions Psychomotrices sur l’adolescence ?
Cette période de la vie intéresse les psychomotriciens au premier plan car l’image du corps en est le principal objet. Les jeunes naviguent de plus en plus entre rupture et fusion, entre les pathologies de l’image du corps (anorexie, boulimie, obésité, toxicomanie, alcoolisme) et des réactions défensives de l’image du corps (tatouages, piercings, scarifications, conduites extrêmes, défis et tentatives de suicides).
Aujourd’hui, l’adolescence réinvente la vie plus qu’hier. Elle impose en effet aux psychomotriciens et aux thérapeutes plus de richesse, de créativité et d’adaptabilité. Ce dossier se propose de réfléchir sur la spécificité de l’adolescence actuelle et sur les médiations thérapeutiques qui peuvent être proposées aux jeunes en souffrance.
– Shafira Dahmoune-Le Jeannic, orthophoniste, nous présente une approche théorique originale, celle d’un atelier d’écriture, qui dépasse l’aspect de la rééducation graphique pour s’intéresser plus au développement de la pensée. Philippe Perocheau, psychologue, psychomotricien, préfère utiliser une déclinaison du « jeu » ou du « théâtre » en pratiquant le psychodrame. Dorota Chadzynski, psychologue, psychomotricienne est plus inspirée par la médiation de l’eau et l’hydrothérapie ; Enfin l’exposé clinique de Didier Lauru, psychiatre, psychanalyste, met l’accent sur ces forces pulsionnelles à fleur de peau chez une jeune fille et comment l’indication de relaxation avec une psychomotricienne est complémentaire de la psychothérapie.
– Nous avons intercalé des interviews de psychomotriciens qui ont une longue expérience clinique avec les adolescents (Patrick Blossier, Pascal Bourger, Sabine Chatelain, Arnaud Lescale, Catherine Potel). Nous présentons aussi un centre préventif des conduites à risques (interview de Benoît Félix) et l’une de ces maisons d’adolescents (où travaille Sabine Chatelain), qui se développent et nécessiteraient un plus grand investissement de la psychomotricité.
– Enfin, le rapport des sentinelles du corps mutant soulève, à l’aide d’enquêtes et de recherches, l’aspect psychosocial de la culture adolescente, de ses modes et de ses pathologies. Ce rapport reflète la tonalité dans laquelle l’image inconsciente du corps humain se modifie actuellement et propose une compréhension du processus.
Quiconque s’intéresse à cet âge de la vie, doit tenir compte des influences sociales.
Plus qu’une mode, le récent intérêt porté à l’adolescence tient au fait qu’elle est devenue une culture puissante de près de 5 millions d’individus entre 13 et 18 ans, mais surtout, ce souci correspond à la prise de conscience que l’adolescence est révélatrice de la santé mentale de notre société.
Dans la sphère border line, narcissique, des psychopathologies spécifiques et graves sont de plus en plus souvent évoquées. Elles répondent aux angoisses contemporaines générées, entre autre, par notre société et notre culture, où le lien d’attachement s’est fragilisé, ce qui s’exprime par le corps au détriment de la pensée. L’environnement socioculturel est devenu aussi instable que la propre vie intérieure et pulsionnelle des adolescents. Mais comment se repérer entre la « maladie normale » de l’adolescence (D. W. Winnicott, 1969) et une souffrance structurée ?
Comme nous le verrons dans notre Rapport des sentinelles du corps mutant, les adolescents sont aussi imprégnés par toutes sortes d’images qui dominent la communication actuelle. Celles de corps de rêves, de corps indestructibles sortis des consoles de jeux, de corps surpassés, boostés, dopés, drogués, ne pouvant plus remplir leur fonction d’alarme, de corps déchiquetés par des attentats contre l’humanité, de corps mis en danger et aussi d’une sexualité détournée de l’amour à la radio ou à la télévision.
Où passe donc le traitement psychique de l’accumulation d’une telle violence chez les jeunes ?
Eux dont l’enveloppe corporelle perd son rôle de protection comme l’a si bien illustré F. Dolto avec son complexe du homard. Ne disposant pas de moyens psychiques suffisants et variés pour se protéger, c’est leur soma qui a la charge d’endiguer ou de contourner leurs angoisses. Les symptômes corporels des adolescents sont des tentatives échouées qui visaient à transformer leurs liens d’attachement infantiles insécures.
Ces nouveaux adolescents en manque d’écoute, revisitent brutalement toutes les étapes de séparation depuis leur naissance et n’arrivent plus à penser l’accélération de leurs modifications corporelles. La discontinuité des mutations et l’excitation pulsionnelle de leur sexualité sont décalées par rapport à leur maturité psychique insuffisante pour appréhender ces changements. Pour certains adolescents, l’angoisse surgit de cet écart, alors que plus que jamais, ils ont besoin d’un pare excitation, d’un contenant sécure que ni les parents ni la société ne leur offre, bien au contraire.
Le rôle du psychomotricien se situe dans ce vide d’existence où il s’agit de contenir le sexuel sans jamais y toucher ni l’évoquer, de libérer la pensée de l’emprise d’un corps trop présent, de remanier le lien avec son propre être et avec les autres. Le psychomotricien possède la compétence d’une écoute du corps. Il peut restituer à l’adolescent sa capacité de penser à nouveau, sans risque pour son existence corporelle.
Pour finir, je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce dossier. Par la multiplicité de leurs fils directeurs, ils ont réussi à faire irradier la plasticité et l’immense trésor que recèle l’adolescence. Avec eux, je vous invite à une lecture riche et instructive.
Philippe Scialom
