Édito
Réflexions autour du corps
Éloge du corps
Aujourd’hui l’intérêt et le soin pour le corps ne sont plus – comme dans la Grèce ancienne – en fonction d’une utilisation esthétique ou – comme au temps des Romains – d’un plaisir réservé à peu de personnes. Au contraire, ils sont devenus un phénomène qui nous implique tous, professionnels et gens communs.
Tous aujourd’hui se préoccupent du bien-être corporel de telle façon qu’il devient, parfois, quasi une obsession. La publicité, les produits pharmaceutiques, les revues, les propositions dans les gymnases et l’ouverture de nombreux centres sportifs et de beauté ainsi que l’organisation de matchs sans enjeu jusqu’au salut entre personnes : tout fait référence à la santé du corps, quasi à tout prix, au désir d’ «être bien».
Cette recherche du corps sain, beau et enviable, quasi un culte, se fait au prix de sacrifices, dévotions, ascèses et méconnaissances… S’il est devenu le centre de l’attention, presque un objet de vénération, peut-être est-ce dû à une sorte de réaction à une sous-évaluation du corps dans le passé ? Ainsi, la santé, être en forme, dans sa valorisation exclusive, sont parfois confondus avec «progrès et civilisation». Si dans le passé le mot «santé» pouvait indiquer fondamentalement celle de l’âme, aujourd’hui ce terme indique avant tout la santé physique, souvent recherchée d’une manière anxiogène.
Quand il a le sentiment de perdre le bien-être, la bonne forme, l’homme est pris par l’anxiété comme s’il était en train de perdre un bien qu’il considère inaliénable. Pour cela il cherche des sanctuaires divers où, parmi des rites plus ou moins sacrés, il pourra récupérer santé, force, beauté, jeunesse. Sanctuaires où l’on porte des vêtements sacrés : les blouses blanches, où on s’organise en processions interminables, où les langages sont particuliers, où les prescriptions et les interdits sont édictés. Sûrement il y a des avantages dans tout cela, mais quelle idée de l’homme y a-t-il à la base ?
Aujourd’hui plus que jamais, avec la puissance des moyens techniques actuels, on est convaincu qu’il existe un remède pour chacun des maux du corps, coûte que coûte.
Le corps en tant que lieu de souffrance
Cependant, il faut rappeler que la santé est représentée par le silence du corps: un silence d’où l’on sort quand on tombe malade, quand on perçoit une douleur physique. Dans la douleur et dans la maladie, l’espace et le temps se resserrent parce que tous les projets de la personne se réduisent: travail, amusement, jusqu’aux relations humaines.
La maladie n’est pas qu’un «bruit des organes», elle est aussi un bruit de sentiments et de pensées qui s’amoncellent et tourmentent l’homme parce que, alors, le malade n’est utile à personne, n’est pas capable de travailler, craint d’être un poids pour les autres, refuse de se faire servir.
La peur du futur, la solitude, la souffrance physique, l’irritabilité, la désillusion et la difficulté de communication mettent le sujet dans l’embarras car il est envahi par une image de soi jusque-là inconnue. Le flux de la vie parait bloqué, et ainsi, on ne peut plus se fier à personne, même pas à soi-même.
La maladie ramène à l’essentiel de l’existence humaine, révèle une racine de mal et détermine une révision de ce pourquoi on a vécu et on vit. Le corps est alors interprété :
- Qu’ai-je fait de mal ?
- Pourquoi à moi ?
La maladie, donc, est un élément de division qui, si je n’en comprends pas le sens, peut me détruire. En fait, si la douleur et la maladie sont toujours fatigantes à vivre, elles le deviennent encore plus quand on n’en connaît pas la signification.
Dans la souffrance corporelle, la personne est obligée de réfléchir sur sa propre existence, elle est induite à repenser l’image élaborée dans la période du bien-être. Elle expérimente d’une manière différente sa propre corporéité et la fragilité de son Moi.
C’est pourquoi une personne malade a besoin de soutien, d’aide, de confort, de mots verbaux et corporels.
Les signes corporels de la souffrance humaine posent le problème de la constitution et du sens du corps : de sa nature, de sa constitution, de sa valeur.
Aujourd’hui le corps malade est d’abord donné à la Médecine, à la technologie, à la réhabilitation fonctionnelle. Mais, pour la personne qui souffre, il faut une compréhension, une écoute, une relation et une interprétation de son état de patient. Et la médecine ne peut pas toujours donner ces réponses. La médecine, la réhabilitation, se préoccupent de : comment soigner le mal, comment résoudre un problème, comment améliorer une fonction, comment différer, souvent à outrance, la mort. Il y a ici le risque de déplacer l’espace-temps où la personne pourrait exprimer son propre malaise et réfléchir sur la signification de son corps malade. Il faut souligner que la technique concerne les moyens et qu’elle devient idole dans le cas où elle prétend être le but.
En psychomotricité, le but – favoriser le bien-être psychocorporel de la personne – est donc différent. Le symptôme, exprimé dans le corps, devient élément de communication, assume une signification, est une espace non pas d’isolement, de négation ou d’hyper-attention mais lieu de relation, élément de partage, espace d’accueil de l’altérité propre et d’autrui.
Quel corps ?
On a vu comment le corps a été, au cours des siècles, le lieu du soupçon et de l’ambiguïté, de l’exaltation et de la négation, avec une variété d’interprétations difficiles à harmoniser et dans la théorie et dans la pratique. Aujourd’hui, quel corps est le centre de l’intérêt ? Qu’est-ce que le corps ? A quoi sert-il ?
Sans une réponse à ces questions on reste esclave d’une idée préconçue du corps, des modes et des urgences du moment avec le risque d’une parcellisation, d’une attention obsessionnelle et avec la perte conséquente de son sens global normalement orienté à entretenir la relation avec les autres. Pour cela il est fondamental de lui trouver un critère, une référence, une signification.
En général, corps signifie objet quelconque perceptible par le toucher et la vue. Naturellement, quand on parle du corps humain cette définition est insuffisante à moins qu’on ne parle d’un corps anatomique. En fait, notre corps, avant d’être objet, est avant tout sujet: il est sujet, du toucher et de la vue, comme de tous nos sentiments, de nos sens et de nos actions. La réalité du corps s’impose avant toute réflexion : quand on naît, tout de suite il se distingue de la mère et il devient objet de soin et d’amour, puis il rencontre d’autres corps et enfin se reconnaît soi même.
Depuis toujours l’homme s’interroge sur son propre corps, sur lui-même. Ce corps sur lequel il peut réfléchir devient alors quasiment étranger et émet de nombreuses voix. Le corps vit l’aventure de la naissance et de la mort, de la croissance et du vieillissement, de la nourriture, du jeu, de la danse, de la rencontre et de l’amour… Sa propre histoire, désirs, joies, souffrances, espoirs et attentes, frustrations et victoires… Le corps est une réalité qui définit et délimite l’individu ; il est au centre des actions et des pensées… Il met l’individu en contact avec ce qui se trouve plus loin. Paradoxalement, la notion d’esprit est plus claire : l’esprit que l’on ne voit pas et que l’on ne touche pas, dont on perçoit l’existence selon que le corps est agile et léger ou apathique et faible. Pendant une certaine période il occupe un espace déterminé, mais avant ou après il se dissout et se confond avec le reste de la matière. L’individu est là avec lui et l’habite, mais il ne sait pas pour combien de temps et dans quels espaces. Le corps est continuellement à la recherche de sa propre vérité, de sa propre identité.
Le corps nous situe dans un espace et dans un temps, nous sépare et nous unit aux autres, bouge et s’arrête, est attiré et repoussé, alimente et éteint les émotions et les pensées. Le corps est une énigme, lieu des opposés: il constitue une totalité sans être tout; il est unique mais a besoin d’autrui.
Le corps est exalté comme dénigré, considéré comme valeur absolue ou lieu de restriction de l’esprit, domaine de la nécessité et source de souffrance. Si pour certains philosophes le corps est méprisé par rapport à l’esprit, pour d’autres l’âme est explicable d’une manière matérielle et mécanique. Entre ces deux positions extrêmes et simplificatrices, perdurant au cours des siècles, d’autres sont plus nuancées et articulées, y compris les religieuses mais toutes sont orientées vers la tentative de mieux comprendre la réalité de l’homme. Aujourd’hui, grâce à l’évolution des sciences, on est plus conscient d’avoir un corps, mais parfois on oublie qu’il a aussi une âme. Le corps humain parle et écoute par le fait que chaque autre corps lui parle. Le corps est intimement marqué par la parole : elle est son distinctif qui lui confère sa dignité de personne. Et il ne parle pas seulement par les mots, mais aussi par sa propre modalité d’être. Le problème est donc : comment vivre ce corps, qui jouit et souffre, qui s’anime et se retire ?
Dans le corps il y a aussi les paroles non dites, inscrites en lui, qui expriment le signifié et le destin. Si nous ne comprenons pas ces mots, nous allons détruire le corps en le croyant absolu, en l’idolâtrant, en le vidant. Il faut donc écouter ce que le corps dit, ce que le corps fait voir. A tout cela la psychomotricité s’intéresse. Surtout au corps du sujet qui vit des émotions, pense, agit et communique à l’intérieur d’un bien-être comme d’un malaise. Seul l’homme peut être l’interprète de son propre corps: seul et avec l’aide d’autrui. Dans cet esprit le corps est l’espace de la psychomotricité.
Franco Boscaini
psychothérapeute, psychomotricien
Délégué national Italie de
L’Organisation Internationale de Psychomotricité et de Relaxation