Édito
Point sur le concept de psychosomatique
Ce numéro consacré à la psychosomatique met en relief la proximité des termes « psychomoteur » et « psychosomatique ». Je vous suggère de lire ce recueil en vous interrogeant sur les croisements des approches cliniques de ces deux champs.
Mon premier souhait, en écrivant ce point sur la définition du concept et sur les différentes approches de la psychosomatique, serait qu’ il ouvre l’ appétit sur une lecture plus approfondie.
Mon deuxième souhait, lorsque vous lirez les interviews et les articles cliniques, serait que vous puissiez associer votre propre pratique.
Insistons en effet ici sur ces points :
- Comment ce thérapeute se débrouille-t-il avec ces patients-là ?
- L’ indication, pour un trouble psychosomatique, doit-elle s’ appuyer uniquement sur la référence théorique du thérapeute ?
- En quoi certains troubles psychomoteurs peuvent-ils être considérés comme des troubles psychosomatiques ?
La psychosomatique concerne en premier lieu la médecine. C’ est pourquoi nous avons interrogé des médecins qui, les premiers, sont confrontés aux souffrances. Devant les singularités de ces symptômes, les psychanalystes ont cherché à comprendre ces patients, avec lesquels les cures classiques restaient sans réponse. Il existe quelques courants 1 qui, loin de nous bercer dans l’ illusion d’ un modèle universel, font ressortir non seulement la difficulté de l’ expérience clinique et de la théorisation mais aussi les particularités propres à chaque individu.
Nous verrons aussi dans ce numéro à quel point les psychomotriciens peuvent rapporter des cas cliniques pertinents par leur approche spécifique. La psychomotricité a sa place aux côtés de ces théories psychanalytiques, qui sont cousines par leurs interrogations sur le corps. L’ archaïque du corporel est si déroutant ! A côté des psychothérapeutes, les psychomotriciens sont aussi obligés de penser autrement leur relation au patient psychosomatique, car les approches habituelles ne fonctionnent pas.
Le choix idéologique n’ est pas notre propos. Nous ne choisissons pas nos patients. Comme j’ aime le
dire, parfois je rencontre des patients très « kleiniens », et d’ autres fois je dois m’ adapter aussi à des patients très « annafreudiens ». Ainsi avec Giorgio (cas exposé plus loin), je ne suis heureusement pas seul avec ce patient et sa famille : Marty (1976, 1980), Guir (op. cité), Sami-Ali 2 (op. cité), Dolto (op. cité), Winnicott (op. cité) et d’ autres maîtres encore m’ accompagnent pendant nos séances. Tantôt Giorgio et sa famille seront très « IPSOiens » et tantôt « GREPSiens ». Ce collectif psychique m’ a surtout aidé à penser et à inventer, à travers mon style personnel, la médiation qui portera ses fruits. Plus encore avec ce type de patient, ce n’ est pas moi qui détermine l’ appui théorique qui guidera la relation et la compréhension. Je préfère parler de relation ou d’ appui, car le terme de transfert ne paraît pas adéquat dans le domaine psychosomatique. Ce point mérite d’ être discuté. Les représentations issues de l’ expérience sensori-motrice semblent gelées ou retenues. Elles viennent à manquer chez le patient psychosomatique. Le problème se situe donc du côté du système préconscient où se forment les représentations : images, fantasmes, rêves, préfigurations de la pensée. La question du patient psychosomatique – si question il y a ? – n’ est pas celle du névrosé qui est interprétable, conflictuelle, sexuelle, entre le conscient et l’ inconscient.
Comment définir une maladie psychosomatique ?
Du fait que l’ organisation psychosomatique implique le corps, les maladies psychosomatiques sont souvent confondues avec l’ hypocondrie et l’ hystérie. Nous les excluons d’ emblée car la lésion n’ existe pas dans l’ hypocondrie et l’ hystérie contrairement au domaine psychosomatique.
La somatisation regroupe aussi bien des maladies irréversibles, auto-immunes et cancers : Smadja 3 parle de somatisation par déliaison pulsionnelle, que des maladies plus bénignes et réversibles comme l’ asthme, les céphalées, les rachialgies… : Smadja (op. cité) parle de somatisation par régression psychique. Sans doute le moment déclencheur d’ un diabète, d’ une crise cardiaque, voire une baisse des défenses immunitaires rendant sensible à une maladie virale, sont dans certains cas des régressions psychosomatiques. Dolto (op. cité) en donne une jolie formule. « Il est bien connu qu’ il ne faut pas d’ émotions à un cardiaque, parce que les émotions touchent le coeur, celui de l’ image du corps, celui des émotions ; c’ est que ce coeur a une répercussion sur le schéma corporel, et sur le fonctionnement du coeur en tant que viscéral. Le « coeur de coeur », et « le coeur de viande », comme m’ a appris à dire un enfant que je soignais, sont distincts, différentiables, mais parfois, dans la pathologie, interfèrent l’ un sur l’ autre. » (p. 361)
Nul n’ ignore aujourd’ hui que les troubles qui portent sur le corps sont en croissance exponentielle
(Scialom, 2002 et 2005). Les atteintes corporelles des adolescents : scarifications, tatouages, piercings… renvoient sans doute à des tentatives pour contenir ou canaliser ces excitations qui ne
peuvent pas être symbolisées par la voie psychique. La clinique de l’ adolescence, réactualisant l’ archaïque du sujet, nous enseigne sur la constitution des fonctions essentielles au développement psychique, affectif et intellectuel. Les troubles cognitifs et l’ instabilité psychomotrice dominent également les consultations infantiles et sont souvent associés à des expressions psychosomatiques. Dans le même registre de cette période archaïque où l’ image inconsciente du corps se construit sur le schéma corporel en s’ en différenciant, la clinique des états limites, par le biais des dépressions anaclitiques, nous aide à penser cette nouvelle approche de la souffrance.
Quand on connaît le rôle essentiel de l’ aspect sensori-moteur dans le développement psychique et comment la pensée s’ appuie sur le corps, l’ assimilation de certains troubles psychomoteurs aux troubles psychosomatiques est une évidence. L’ approche psychomotrice oscille entre rééducation et thérapie à médiation corporelle car la relation est au centre d’ un nouvel appui apporté par le psychomotricien qui offre de nouvelles expériences sensori-motrices dans un environnement porteur et symboligène. De nombreux psychanalystes psychosomaticiens émettent aussi l’ importance de cette fonction maternelle 4, de pare-excitation, de holding, jouée par le thérapeute et, à mon sens, en particulier par le psychomotricien. Le passage par un cadre autorisant une nouvelle mise en jeu de l’ archaïque, permet sans doute de réaménager ce point de jonction, cette interface entre la psyché et le soma. La question : pourquoi ce trouble psychosomatique ? peut éventuellement s’ élaborer ensuite, au cours d’ une cure psychanalytique plus classique. En aucun cas elle ne saurait être utile sans ce préalable étayage organisateur des fonctions pensantes, cognitives et affectives. La prédétermination du trouble, les effets transgénérationnels, les troubles précoces de la relation, les interprétations les plus intelligentes sur une causalité seront peut-être utiles mais à la condition sine qua non qu’ une solution de continuité soit établie au préalable dans l’ articulation somato-psychique du sujet. La mise en place d’ un temps en rapport avec l’ espace se noue dans cette relation particulière qui implique le thérapeute d’ une manière vivante, innovante et originale. Ce qui peut être fait en relaxation, psychanalytique ou non, en psychothérapie, en psychodrame et en psychomotricité, du moment que la médiation ne mette pas la relation, la réalité ni la personne du thérapeute à une distance « neutre et bienveillante ». Si dans les thérapies psychanalytiques menées avec les névrosés, il s’ agit de manier dans un cadre de neutralité bienveillante le transfert, moteur de la cure, ici au contraire, le retrait de la personne du thérapeute doit faire place à son implication dans la relation : « le vivre », « l’ agir », l’ interaction doivent précéder l’ explication et l’ interprétation.
En conclusion, j’ émets l’ hypothèse qu’ avec un patient psychosomatique, cette implication du corps et du sujet du thérapeute est le moteur de la cure du fait qu’ il remanie la dynamique et la fonction sensori-motrice du patient.
Les textes qui suivent, avec leurs points de vue théoriques et leurs approches professionnelles différentes confirmeront ou non cette hypothèse.
Après cette mise au point sur le concept de psychosomatique, je vous laisse découvrir le travail passionnant des cliniciens qui ont bien voulu s’ exposer. Que chacun en soit ici remercié.
Philippe Scialom
1 Outre les auteurs qui « parlent » plus aux psychomotriciens : Dolto (1984), Anzieu (1985), Winnicott (1999), les contributions de Sami-Ali (1974) et de Guir (1983), citons l’IPSO, Institut de Psychosomatique,(Département Institut de Psychosomatique de l’ASM13, Association de Santé Mentale du 13e arrondissement de Paris -20 rue Bellier Dedouvre, 75013 PARIS, qui comprend le Centre de psychosomatique pour adultes Pierre Marty et le Centre de psychosomatique pour enfants Léon Kreisler).
2 Sami-Ali dirige le Centre International de Psychosomatique. Pour ce psychanalyste, « …le corps propre est l’ a priori de l’ espace et de la représentation. », Sami-Ali (op. cité, p. 245). L’ auteur développe sa théorie psychosomatique autour de la notion d’ espace imaginaire, en lien avec l’ inconscient et construit à travers le corps.
3 Claude Smadja est psychanalyste et médecin chef à l’IPSO, voir son article Présentation de la psychosomatique mis en ligne sur le site de la Société Psychanalytique de Paris de www.spp.asso.fr, dans « extensions de la psychanalyse ». Les membres de l’ IPSO sont rattachés principalement à la Société Psychanalytique de Paris, freudienne.
4 L’ évolution nette des psychopathologies évoque une difficulté parentale croissante à soutenir une fonction maternelle et une fonction paternelle qui ne permettent plus l’ appropriation d’ un pare-excitation suffisamment adaptable. (Scialom, op. cité)