Enfants à Haut Potentiel intellectuel : quelles interventions psychomotrices ? – N°108 – Mars 2015

Lorsque le langage se lie à la psychomoticité – la verbalisation des émotions chez les enfants à hauts potentiels intellectuels – Sixtine De Chevron Villette

Qu’en est-il de l’enfant à haut potentiel intellectuel (H.P.I.), de son corps, de sont profil psychomoteur et des possibles troubles psychomoteurs ? – Séverine Alonso-Bekier

Subtest vitesse de traitement à la WISC et difficultés nécessitant un soin psychomoteur chez l’enfant à haut potentiel intellectuel – Marie G’Sell Lemonnier

Les enfants surdoués et l’écriture – Violaine Verschoore-Reinhard

Jalons d’une réflexion sur le bilan de réhabilitation en équipe spécialisée alzheimer – Aurélie Bergeon

Consulter la version réduite

En stock

Édito

Dès l’Égypte ancienne, l’intelligence «supérieure» est observée et revêt une dimension à la fois magique et divine. Cela nous apparaît à travers la lecture du mythe de Sénorisis, fils de Stani :

Stani était un scribe très savant, fort instruit en toutes choses et extrêmement habile de ses doigts quand il tenait la palette et le calame des écrivains. […] Il résolvait les énigmes et savait trouver une réponse aux devinettes compliquées. En dépit de toute sa science et des triomphes qu’elle lui procurait, Stani était mal- heureux car il n’avait pas de fils. […] Stani reçut un avertissement des dieux. Une voix lui parla durant son sommeil, disant: «Stani, un fils te sera bientôt donné. Tu l’appelleras Sénorisis et nombreux seront les miracles qu’il accomplira sur la terre d’Égypte.» […] Quand le petit Sénorisis eut un an, on aurait dit: «Il a deux ans!». Quand il en eut deux, on aurait dit: «Il a trois ans!» […] Lorsque Sénorisis fut assez grand et assez robuste, on le mit à l’école; en peu de temps il en sut plus long que le scribe qu’on lui avait donné pour maître. Ce petit enfant Sénorisis commença à lire et à déchiffrer les grimoires avec les scribes de la Double Maison de Vie du temple de Phtah, ces scribes qui sont les plus savants entre les savants, et tous ceux qui l’entendaient lire couramment à haute voix les textes anciens et difficiles étaient plongés dans l’étonnement. (Divin, 1957, p. 175)

Platon1, dans la Grèce antique, développe l’idée que le pouvoir devrait être confié à ceux chez qui l’esprit est supérieur au cœur. Dans l’Empire Ottoman le sultan Mehmed le Conquérant2 envoi des émissaires parcourir l’empire à la recherche des enfants les plus «remarquables», et leur crée une école afin de leur confier de hautes responsabilités. Au Moyen Age, en Europe où la foi religieuse est très profonde, l’intelligence est considérée comme un don de Dieu. Elle doit donc être mise au service de Dieu et non de l’Homme ou de l’État, comme le suggérait Platon. A partir de la Renaissance, ce sont toutes les formes d’expression artistique qui seront privilégiées, comme Léonard de Vinci3 et Michel Ange4 ; ou dans le domaine des lettres comme Montaigne5 qui montre très jeune des aptitudes littéraires qui nous font penser qu’il était précoce ou encore Blaise Pascal6 qui sans aller à l’école retrouvera les démonstrations géométriques d’Euclide dès ses 12 ans. Les enfants doués se retrouvent aussi en musique avec Purcell, Bach, Haydn ou Mozart qui était également un prodige en mathématiques.

Ainsi, l’enfant qui est en avance, qui apprend vite, trop vite a de tout temps interpellé. Mais comment les nommer ? Doué, surdoués, précoces à haut potentiel, zèbres…. Le terme surdoué pourtant bien connu, souffre de connotations affectives très fortes, au risque de le confondre avec les génies dont le QI est extrêmement élevé. Il laisse aussi entendre, comme évoqué au cours de l’histoire, qu’il s’agit d’un don qui peut être magique ou donné par Dieu.

Ce terme de « surdoué » est un néologisme employé pour la première fois en 1946 à Genève par le docteur De Ajuriaguerra pour désigner une catégorie d’enfants qu’il caractérise ainsi:
«On appelle enfant surdoué celui qui possède des aptitudes supérieures qui dépassent nettement la moyenne des capacités des enfants de son âge.» (De Ajuriaguerra, 1959)

Le terme « surdoué » est la traduction du mot Anglais “gifted” qui signifie « doué ». Les Anglais emploient le terme “highly gifted” qui se traduit en français par «surdoué» à partir d’un quotient intellectuel (Q.I.) de 145, soit un enfant sur 1000. E.I.P. ou Enfants – (Élèves) Intellectuellement Précoces est le terme utilisé actuellement par l’Éducation Nationale (Delaubier, 2002 ; Revol, 2005). Néanmoins, ce terme équivoque est susceptible de donner une fausse idée de ces enfants en laissant entendre qu’ils sont seulement «en avance» sur les autres (Adda et Catroux, 2003 ; Siaud-Facchin, 2012). Le terme H.P. (Haut Potentiel) ou H.P.I. (Haut potentiel intellectuel) prend en compte leur potentiel mais pas nécessairement leurs performances (Grégoire 2012, Cuche, 2014, 2017). On constate que les termes E.I.P et H.P. (particulièrement utilisé en Belgique et pour les adultes) sont davantage répandus aujourd’hui, car moins connotés comme un don. Au Canada le terme utilisé est Douance, usité pour désigner des enfants avec des prédispositions intellectuelles valorisées sur le plan scolaire ou non scolaire (Gagné, 2012).

Au-delà de toutes ces nuances de terminologie, nous faisons le choix d’utiliser le terme d’enfant à Haut Potentiel Intellectuel (H.P.I.), qui nous semble plus mettre en avant la notion de potentialité que celle du don, du surdon ou de la précocité.

Mais en quoi ces patients, quelles que soient les particularités de leur intelligence, concernent le psychomotricien ?

Dès 2004, Terrassier objectivait une dyssynchronie psychomotricité-intelligence, plus particulièrement chez les enfants présentant un profil hétérogène7. En effet bien souvent dans l’utilisation de son corps l’enfant H.P.I. n’a pas l’aisance et les facilités qu’il rencontre dans le langage et la maitrise du discours. Le corps peut donc parfois être vécu comme une enveloppe qui dérange, qu’il a du mal à maitriser ; beaucoup plus difficile à maitriser que le monde des idées. Cela est souvent source de frustration, frustration dont sa tolérance dépendra bien souvent de l’environnement. Si ces capacités corporelles sont sous-estimées ou dévalorisées, elles seront moins utilisées. Or l’outil corporel, pour progresser, doit être entrainé, stimulé, exercé. Petit à petit s’ins- tallera alors une maladresse corporelle, frein possible dans les apprentissages scolaires, comme par exemple l’écriture. Le corps tout entier est ainsi un support des apprentissages scolaires et la psychomotricité, par son approche psychocorporelle, peut apporter des solutions lorsque l’équilibre est rompu, comme cela peut être le cas chez les enfants H.P.I. hétérogènes. C’est pourquoi cette population interpelle les psychomotriciens qui en rencontrent de plus en plus souvent dans leurs consultations.

Ainsi, ce numéro se propose de répondre à ces possibles répercussions corporelles se répercutant souvent sur les apprentissages ; à travers la présentation de pratiques, d’observations cliniques mais aussi de recherches de psychomotriciennes rencontrant fréquemment ces profils dans leurs exercices professionnels.


1 -428 à -348
2 1432 – 1481
3 1452 – 1519
4 1475 – 1564
5 1533-1626
6 1623-1662
7 On parle d’hétérogénéité lorsqu’il y a au moins 15 points Q.I. d’écart entre les différents indices (subtest de la W.I.S.C.).

Informations complémentaires

Poids 0.2 kg
Catégorie
Auteurs , , , ,